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La Compagnie Li(luo)

"Là où prend forme la relation" 
Introduction au travail artistique de Camille Mutel / Compagnie Li(luo)

 

Dans le travail artistique de Camille Mutel, la question du rapport à soi et aux autres est un thème récurrent. Elle s'intéresse à la relation et questionne ce qui fait lien. Elle développe au fil de ses chorégraphies un langage singulier basé sur une gestuelle précise avec une attention particulière pour l'expérience du public. Son parcours d'artiste suit un mouvement qui va de l'exploration intérieure du corps vers la rencontre à l'autre, sans jamais négliger son rapport au monde.

 

Pendant les premières années, elle envisage le lieu de la rencontre avec le public comme étant situé à l'intérieur même du corps de l'artiste. Elle l'invite à se confronter à l'intériorité crue de ce qui fait corps. Elle explore de façon organique ce qui se trouve sous la(les) surface(s) de chacun d'entre nous et mène ainsi la création d'une série de soli.

Dans Effraction de l'oubli (2010), réalisé en étroite collaboration avec l’éclairagiste Matthieu Ferry, un corps nu sans visage est mû par un faisceau lumineux. Le geste introspectif de ce corps révèle des pulsions érotiques et morbides qui s'enchaînent les unes aux autres. Les images, d'une précision extrême, revêtent un caractère quasi hiéroglyphique. Cette pièce marque la naissance d'une chorégraphe singulière.

Camille Mutel choisit ensuite de déplacer son attention vers l'image de soi. Etna ! (2011) met en présence le public face aux fantasmagories équivoques d'un corps désirant et délirant. L'univers projeté est un univers de symboles : imagerie animale et confusion des genres glissent à même la peau. Le corps n'est plus perceptible qu'en deux dimensions et perd son rapport au réel.

Elle choisit alors de désintégrer l'image en une multitude de fragments. Dans Nu (ə) muet (2012), le spectateur est placé en tri frontal au plus près de la danseuse. Les stroboscopes et les lasers découpent l'image-objet et rendent impossible la perception du corps dans son ensemble. Sa recherche s'articule désormais autour de la présence pure, celle-ci étant considérée par l'artiste comme une manifestation possible du réel.

 

S'impose alors la nécessité de mettre deux corps en présence afin que surgisse un langage. Son intérêt se déplace de la manifestation du voyage intérieur vers l’exploration de l'entre deux.

Soror (2013), un duo pour femmes, est la première pièce de cette nouvelle recherche. Ici, les corps négocient leur relation de sororité dans un espace qui semble étrangement étroit et infini, révélant une lutte sans fin avec ce que signifie être ensemble.

 

Dans Go, go, go, said the bird (human kind cannot bear very much reality) (2015), les deux danseurs s'accouplent de façon hiératique, rituelle, distanciée. C'est la voix et les élucubrations profondes de la chanteuse qui paradoxalement viennent faire corps entre eux.

Animaux de béance (2017), une œuvre pour deux interprètes et une chanteuse est inspirée par les rituels médiévaux de la Sardaigne nommés danses de l'argia. Les protagonistes entrent en état de crise et cherchent dans la communauté un espace symbolique à même de la contenir. Cette pièce est l'unique pièce à ce jour dans laquelle la chorégraphe n'est pas sur le plateau.

 

En 2020 Camille Mutel revient au solo. Elle met en place une quadrilogie qu'elle intitule La Place de l'Autre. Avec ses collaborateurs, inspirée par la cérémonie du thé japonaise, elle imagine un espace invitant pour le public. Le spectateur est au cœur de la performance. Il n'est désormais plus question de faire surgir un langage. Il s'agit de prendre appui sur le geste quotidien et de le ritualiser. Le premier volet s'intitule Not I et s'articule autour de la notion du don. Le spectateur est convié à la lente élaboration d'un repas disposé progressivement sur scène comme une nature morte. L'attention entre la scène et le public se négocie autour d’une question intime : Que puis-je vous offrir ?

Nancy, Mai 2020

"Aujourd’hui, je dirais que la recherche de la compagnie Li(Luo) est un questionnement de la présence. Qu’est-ce qu’être présent ? Cela a à voir avec la conscience. Conscience de soi et conscience de l’environnement. Conscience de soi dans un environnement et de l’environnement au-dedans de soi. De filiation directe à ses débuts avec la danse butô, ma pratique s’éloigne de plus en plus du symbole et du mythe pour entrer dans le sensible. La danse est expérience du corps. Pour moi qui la danse et pour qui la reçoit. Au-delà et au-dedans de l’image, j’aime à penser qu’elle puisse se perce-voir. La danse est charnelle. A la représentation du corps dont je ne peux m’extraire, la danse, la musique et la lumière, apportent la profondeur qui métamorphose, contredit, détourne, renforce, se joue de, interroge un trop souvent « arbitraire » de l’image. Ces trois éléments (musique, danse et lumière) sont les trois éléments principaux dont se composent le travail et la réflexion de la compagnie. Leur sensibilité s’affine au fil des créations, ouvrant des possibles plus vastes. Tous les trois sont d’essence vibratoire. Et je me demande si être présent ne signifie pas donner à voir cette vibration ; à savoir que la présence soit l’effacement qui révèle l’espace-temps."

Camille Mutel, Septembre 2010

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